Dans la zone occupée par les troupes hitlériennes, voici un petit village tranquille, à l’écart des routes principales, où aucun soldat allemand ne s’est aventuré pendant cette période. (« Ils allaient où on leur dénonçait quelqu’un », dit Mme Charron).

 

  Et pourtant, tradition protestante et laïque oblige, des enfants juifs y ont trouvé asile, protection et subsistance, des « réfractaires » également, et ceci dans presque toutes les maisons du village.

 

  C’est ainsi, grâce à une filière mise au point par un instituteur laïque, que Jean L.,(né en 1932) et ses sœurs Micheline (1926) et Colette (1929), ont été accueillis au Quaireux, le garçon dans une famille et les 2 filles dans une autre, chez les parents de Mme Charron.

 

  Jean a été inscrit à l’école et l’a fréquentée jusqu’à la Libération, c’est à dire quelques mois seulement. Les filles n’ont pas été scolarisées.

 

« On savait, pour les déportations des Juifs, puisqu’on cachait leurs enfants, mais pas pour l’extermination, à ce moment-là »…

 

 « Le village était discret, tout le monde se tenait les coudes. Personne n’a été dénoncé. On les faisait passer pour des parents. D’ailleurs, ce n’était pas vraiment étonnant de voir des enfants inconnus, car il avait déjà été fait appel aux gens de la campagne pour accueillir des petits parisiens affamés et ma mère en avait pris », dit Mme Charron.

 

  « Jean est toujours resté en relation avec nous et il a tenu à demander pour mes parents la Médaille des Justes. Ils l’ont eue à titre posthume. "Ils n’avaient rien demandé, eux ", ajoute-t-elle d’une voix qui dit à la fois la fierté et la gêne, parce que « c’était normal, on ne s’est pas posé de questions, il fallait le faire, on l’a fait et pas pour avoir des remerciements ».

 

  Résister, donc, dans la vie de tous les jours. Et justement, comment devient-on « Résistant »?

« D’abord, avec mon père », dit R.Charron, « on était fondamentalement de gauche et antinazi dès le départ, et, pour nous, Pétain, c’était un traître, on n’a eu aucune hésitation pour s’y opposer ! ».

 

  C’est l’institution du Service du Travail Obligatoire (STO) en 1942 qui sera le déclencheur : « Je n’avais aucune raison d’aller en Allemagne servir l’occupant et son régime politique ».

Réfractaire, comme on disait alors, il se « camoufle »(se cache), d’abord dans l’anonymat parisien, jusqu’en fin 1943. 

 

 « Les rafles (arrestations) s’intensifiant dans les gares et le métro, je suis revenu me cacher chez moi, à Reffannes.

Mais des bruits couraient, les gendarmes avaient prévenu mon père, disant qu’ils ne voulaient rien savoir, mais qu’ils risquaient d’être contraints de venir m’arrêter… ».

 

  D’autres n’ont pas eu sa chance : 8 ou 10 réfractaires, cachés dans les bois de Reffannes, ont commis l’imprudence d’aller dans le bourg se faire couper les cheveux, à 20 ans, c’est tentant de bouger un peu… le garçon coiffeur renseignait les Allemands.

 

  Réfractaire, donc, mais pas encore Résistant : « En fait, je n’ai fait partie d’un réseau de Résistance qu’après le Débarquement du 6 juin 44.

Ce n’était pas facile d’y entrer, ceux qui en étaient se méfiaient ! »

 

  Fuite à Mortaigre, chez un ami résistant, puis au Quaireux , chez son futur beau-père, résistant, lui aussi.

 « Mon père », dit Mme Charron « a été fait prisonnier en 1940. Comme sous-officier de réserve, il avait eu le droit de refuser de travailler. Libéré d’un camp, il est revenu en 42-43, il pesait 47 kg !

Ça faisait bien pour la propagande allemande de libérer un prisonnier de temps en temps, et puis il y avait des échanges : un prisonnier revenait, pour deux qui partaient au STO.

 

  Le temps de se refaire une santé, il a été recruté par un ami, Edmond Proust (c’est à dire le Colonel Chaumette dans la Résistance), instituteur à Péré avant la guerre, chef des FFI, qui chapeautait tous les réseaux dans le secteur ». 

 

  « Ah ! mes faits d’armes ? » dit R.Charron.

« D’abord, pendant longtemps, on n’a pas eu d’armes. Il y avait eu des parachutages, mais seulement dans le nord du département, courant 43, et ça avait tourné rapidement au cauchemar, dénonciations, irruption des Allemands dans la cache…

 

  Après le Débarquement, le Pasteur de Saint Sauvant nous a fait passer des pains de plastic pour faire sauter la voie ferrée près de Melle. On n’a mis qu’une petite charge, on ne voulait pas que des civils soient tués, mais il fallait gêner les Allemands.

On les a gênés également en sectionnant la ligne téléphonique de la SNCF dont ils se servaient.

On les a attaqués aussi sur la route Melle-Poitiers, près de l’embranchement avec la route de Lezay. On les harcelait, pour retarder leur remontée vers le front de l’Est. On avait 2 mitraillettes Stern.

 

  La libération de Melle a eu lieu le 13 août 44, on les a chassés de l’Usine et de différents lieux de casernement (Centre St Joseph, Hôtel Philippon…).

 

  Dès la fin août 44, il n’y a pratiquement plus eu de convois allemands. Mais il en restait  pour défendre les bases de sous-marins, notamment à La Rochelle et il fallait les expulser.

De là date la reconstitution du « 114 », c’est à dire le 114ème Régiment d’Infanterie, où se sont engagés, comme moi, les réfractaires, les résistants, et tous ceux qui  étaient volontaires, engagement signé à Saint Joseph à Melle.

 

  Les compagnies formant ce régiment ont alors pris position devant la « Poche de la Rochelle », sur un front de 25 à 30 km ».

 

  Pendant ce temps-là , à la maison, que faisait-on ? Entre autres tâches, des colis pour ravitailler des gens, des amis, habitant en ville et soumis à des restrictions alimentaires sévères. « Ma mère était active, de ce côté-là, elle  envoyait des colis de rôtis, de pâtés, régulièrement , mes beaux-parents aussi », dit Mme Charron. 

 

  Résister, aider, se «  tenir les coudes », trouver que c’était son devoir : «  Quand on est pris dans ce contexte, on ne se pose pas de questions ! »

 

Texte élaboré à partir des paroles de M. et Mme Charron., du Quaireux.